Dénutrition et polyhandicap : quelles problématiques ? Quelles solutions ?

Dénutrition et polyhandicap : quelles problématiques ? Quelles solutions ?

1 février 2018
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Interview croisée de :
– Pr Jean-Claude Desport, Nutritionniste au CHU de Limoges
– Mme Catherine Kajpr, vice-présidente de l’association La Vie par un Fil, maman de Laetitia, polyhandicapée

Le polyhandicap est défini par un handicap grave à expressions multiples avec déficience motrice et déficience mentale sévère ou profonde, entraînant une restriction extrême de l’autonomie et des possibilités de perception, d’expression et de relation.1 Des restrictions qui ont inévitablement un impact sur la nutrition.

La dénutrition est-elle fréquente chez les personnes polyhandicapées ?

J.-C. Desport : La prévalence de la dénutrition chez ces personnes est très difficile à évaluer. D’abord parce que les méthodes d’évaluation ne sont pas toujours applicables. Ensuite, parce que l’on ne connaît pas exactement le nombre de personnes polyhandicapées, certaines sont en institutions mais beaucoup sont à domicile.

C. Kajpr : Les MDPH (maisons départementales pour les personnes handicapées) ne sont pas favorables à diffuser leurs chiffres mais on estime qu’environ 25 000 personnes en France sont concernées par le polyhandicap. 15 000 enfants et 10 000 adultes. Ce n’est qu’une estimation.

Qu’est-ce-qui favorise la dénutrition dans cette situation ?

J.-C. Desport : C’est souvent multifactoriel, les patients peuvent souffrir de troubles digestifs, comme un reflux gastro-œsophagien, une constipation ou encore une subocclusion, mais c’est souvent un défaut d’apport alimentaire qui entraîne l’état de dénutrition. Parfois, la dénutrition est très sévère, certains patients arrivent à l’hôpital dans un état déplorable.

C. Kajpr : En effet, la prise des repas peut être catastrophique. Certains patients ont des problèmes dentaires (caries douloureuses ou mauvaise implantation). Or, chez ces personnes, les soins dentaires sont très difficiles à effectuer. Parfois, la mandibule n’est pas en face de la mâchoire supérieure, et ne permet pas une bonne mastication. Les patients ont souvent une grosse langue et un mauvais réflexe de déglutition. Ils font des infections respiratoires à répétition à cause des fausses routes. Ils ont des problèmes de préhension, de salivation, des troubles du comportement alimentaire. Et puis, il ne faut pas oublier la douleur physique qui coupe l’appétit. Tout comme la douleur psychologique. Le moment des repas est souvent un moment que tout le monde redoute et vit très mal.

J.-C. Desport : Nous rencontrons également des cas de maltraitance. Des situations dramatiques de parents âgés qui s’occupent de leur enfant polyhandicapé de 50 ans et qui n’en peuvent plus. Il y a parfois un désir conscient ou inconscient d’accélérer la fin. Nous sommes face à des situations de détresse absolue.

Y-a-t-il parfois une volonté de ne pas faire « trop » grossir les patients ?

J.-C. Desport : Oui, cela peut arriver. Certains parents préfèrent que leur enfant polyhandicapé ne prenne pas trop de poids pour pouvoir continuer à le mobiliser et le garder chez eux. Cette volonté des parents n’est pas raisonnable car l’état de dénutrition, entre autres conséquences, augmente le risque de survenue d’escarre chez un enfant alité. Il est du devoir des médecins et des soignants de les informer et de les mettre en garde sur tous les problèmes liés à la dénutrition. De plus, cette maigreur favorise les complications après chirurgie. Les mentalités commencent à évoluer mais il y a seulement quelques années, on considérait encore que la maigreur faisait partie du handicap.

C. Kajpr : À propos de chirurgie, certains enfants doivent subir une arthrodèse, une opération qui permet de redresser et de bloquer la colonne vertébrale afin de faciliter la respiration. Il s’agit d’une chirurgie lourde. Pour pouvoir la supporter, les enfants doivent avoir un statut nutritionnel correct.

Comment peut-on dépister la dénutrition chez un patient polyhandicapé ?

J.-C. Desport : C’est un vrai problème. Beaucoup d’enfants ne peuvent pas se mettre debout et donc, sont très difficilement mesurables. Il existe des méthodes qui permettent une estimation de la taille : la mesure de l’envergure ou la mesure de la somme des segments (jambe + cuisse + bassin +abdomenetthorax+cou+tête). Et pour le poids, tous les établissements et services ne sont pas équipés de chaise-balance ou de lit de pesée. Donc la mesure de l’IMC est souvent difficile.

Quels sont les autres freins au dépistage de la dénutrition ?

C. Kajpr : En plus de ces difficultés techniques, il y a un manque d’informations à tous les étages, depuis la direction des établissements jusqu’aux familles, en passant par les médecins et les soignants. Beaucoup de savent pas comment faire pour donner à ces personnes un traitement nutritionnel adapté.

J.-C. Desport : Dans certains cas, la direction d’un établissement ne se sent pas concernée par la problématique nutritionnelle, dans d’autres c’est le médecin qui est peu motivé, ou les équipes qui sont épuisées ou ne communiquent plus entre elles, dans d’autres cas, le blocage vient de la cuisine qui a du mal à adapter les textures ou les menus. Souvent, il s’agit davantage d’un problème de communication que de refus de prise en charge. Il faut trouver d’où vient le blocage et essayer d’instaurer un dialogue.

Lorsque la dénutrition est dépistée, quelles prises en charge doivent être proposées ?

J.-C. Desport : Cela dépend du degré de dénutrition et surtout de la personne, de ses conditions de vie, de son entourage. Il ne faut pas vouloir appliquer un protocole unique. On sait que la renutrition, par exemple, améliore l’état respiratoire, est nécessaire pour obtenir la cicatrisation des escarres, et diminue les hospitalisations. Souvent la nutrition entérale représente la solution qui permet à la personne de reprendre du poids et qui la libère, ainsi que son entourage, du combat laborieux que représente le repas.

C. Kajpr : Quand la personne est nourrie par voie entérale et qu’elle peut continuer, si elle le souhaite, à manger un peu durant les repas, alors l’alimentation peut redevenir un plaisir et un moment de partage avec la famille. Mais la difficulté de la nutrition entérale est, d’une part, qu’il est compliqué de prendre l’avis de la personne concernée, et, d’autre part, que les parents voient cette technique comme « un trou » supplémentaire que l’on fait dans le corps de leur enfant déjà très éprouvé. Cette vision peut être combattue grâce à une discussion avec les équipes… si tant est qu’elles soient formées.

Existe-t-il des formations spécifiques sur la nutrition dans le cadre du polyhandicap ?

J.-C. Desport : Très peu. Pourtant la demande est majeure sur le terrain. Une proposition a été déposée auprès de l’ARS Nouvelle Aquitaine, mais l’évolution est lente, et a un coût non négligeable. Les personnes polyhandicapées se retrouvent donc face à au moins trois types de problèmes : ceux liés à la maladie, ceux liés à la formation insuffisante des personnels et encadrants, et ceux liés à une mauvaise communication au sein des équipes.

C. Kajpr : C’est vrai que nourrir une personne polyhandicapée demande beaucoup d’attention et de temps. Mais je pense qu’en institution, beaucoup de soins infirmiers pourraient être délégués. La situation souvent médiocre des personnes polyhandicapées, du point de vue nutritionnel, est d’autant plus regrettable, qu’une prise en charge adaptée peut apporter 10 à 15 ans de vie supplémentaire à la personne.

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